« Avec ce bateau vous ne sortirez jamais du port !… »

Le moral était déjà bas, pour nous marins d’eau douce, livrés à une mer déchaînée, et ces paroles d’un loup de mer achevèrent de nous ôter le plaisir que nous avions à participer aux Championnats de France. Par contre, l’ « Audacieux » de Monsieur Mudry ne l’entendit pas de cette oreille; une fois gréé et mis à l’eau, ce coursier, qui avait déjà fait ses preuves, nous invita à relever le défi. Le Léman ne devait pas se laisser intimider par la mer, si mauvaise fut-elle, et elle l’était !

C’est ainsi que pour la régate d’entraînement l’ « Audacieux », toutes voiles dehors, s’y reprenait à trois fois et sortait enfin du port dans le sillage de « l’Ile de France ». Neptune s’en offensa-t-il? Nous en fûmes certains quelques instants plus tard. Ah! ces vagues qui vous donnent le goût du sel et cinquante litres d’eau à écoper.

Le signal est donné. Mais de quel côté partir? car au Havre le départ est donné aussi bien vent debout que vent arrière. Combien nous regrettons le coup de sifflet sympathique donné au Quai de Ripaille quand tous les retardataires sont sur la ligne de départ! Les pavillons du sémaphore ne nous disent rien, mais après avoir gagné la régate d’entraînement, nous les connaissons assez pour remarquer un « N » flamboyant nous annonçant que la première place si durement gagnée nous échappait. La première régate comptant au classement était annulée.

Sans se décourager pour autant l’ « Audacieux » et son équipage s’adjugeaient le lendemain, grâce aux voiles américaines, une brillante première place qui ne fut pas contestée. Vraiment, on n’attendait pas autant du Léman: trois régates, trois « premier ». Mais pour tout avouer la tempête s’était apaisée, faisant place à une brise comme sur notre lac. « Mais attendez un peu, murmurait-on, si le vent fraîchit « ils » ne tiendront pas ».

Aux régates suivantes, la mer n’était pas belle. Et quelle ne fut pas la stupéfaction générale en voyant l’ « Audacieux », souvent mal parti, prendre bientôt la tête et la conserver durant les trois-quarts du parcours, pour se faire finalement doubler juste à l’arrivée. L’équipage exténué ne pouvait plus manœuvrer le bateau trop ardent et trop léger. Pourtant l’ « Audacieux » gardait la tête du classement, même par gros temps. Aussi fut-il brillamment délogé de sa position de leader par une disqualification sur laquelle nous ne reviendrons pas… Relégué du coup, à la quatrième place, le bateau du Léman, montrant de quoi il était capable, enleva sans discussion la régate de clôture sous le nez de plusieurs concurrents ligués en vain contre lui. Il se trouvait à la deuxième place du classement général, mais l’honneur était sauf. Il n’en fallut pas plus pour que l’ « Audacieux » se vît assailli par une délégation de snipistes des plus minutieux, armés de mètres et de pieds à coulisse: longueur du mat, surface des voiles, épaisseur des couples, etc…, tout fut vérifié sous le sourire ironique de l’équipage.

Pour son premier essai dans cette compétition qu’est le Championnat de France des snipes, la S. N. L. F. a montré qu’elle prend de l’importance et est capable de s’imposer. Qu’à l’occasion de ce compte rendu, son Comité soit remercié ainsi que Monsieur Mudry, propriétaire de l’ « Audacieux », pour leur aide précieuse qui a permis la participation du « Léman » à ces Championnats.

Nous terminerons en souhaitant que la S. N. L. F. se comporte encore mieux aux prochains Championnats de France qui auront lieu à Lorient en 1951… et, nous l’espérons, à Thonon en 1952.

Michel CHAMAY
Jean-Pierre DEMIAUX
« Impressions de Championnat » Le HAVRE – Août 1950
(Extrait du bulletin 1951 du S. N. L. F. )

Quelle meilleure introduction à l’histoire des Snipe sur le Léman que cet article rédigé par les deux médaillés d’argent aux Championnats de France 1950?

Le Snipe est un dériveur à bouchain dessiné en 1931 par l’architecte William F. « Bill » Crosby.

« Bill » Crosby

Il mesure 4.72 x 1.52 mètres pour un tirant d’eau de 0.99 mètre dérive basse et 11.99 m² de voilure.

La dérive métallique impressionnante d’un Snipe de 1951

Enfant de la « Crise de 1929 », il partage avec le quillard « Star », auquel nous avons déjà consacré un article, un prix de lancement « modique » de 250,00 $. Ils ont un autre point commun: leur foc tangonné au portant en l’absence de spinnaker.

D’un poids de 172.80 kg (204 kg à l’origine) en ordre de marche, c’est un dériveur « lourd » par rapport aux « Vaurien » ou « Caneton » contemporains, ou aux « 420 », 470″ et « 505 » qui verront le jour à partir de la fin des années 1950.

Belles voiles à petites laizes pour ce Snipe Américain

Dériveur à deux équipiers sans trapèze, c’est une « machine à faire du cap » au près où il arrive à remonter jusqu’à 35° du vent.

Equipiers au rappel dans une position proche de leurs contemporains sur Star

Au portant, l’absence de spi rend difficile le planning en l’absence d’un coup de main d’Éole, mais les focs tangonnés donnent de biens jolies images…

Snipe au portant
Snipe au portant

A partir du début des années 1950, le Snipe devient un incontournable dans les compétitions internationales…

Championnat du Monde

Mais revenons aux Snipe du Léman…

Snipe à Thonon
Snipe 2349 à Thonon

En 1950, la S. N. L. F. – Flotte 288 de la jeune association des Snipe créée en 1947 – compte une vingtaine de Snipe dans ses rangs et autant de participants aux régates qu’elle organise pour cette série…

Des Snipe, un Requin, des canots… Thonon à la belle époque?

Lire le Bulletin : SNLF 1951

En 1953, le Cercle de Voile de Nyon (C. V. N. futur Snny) est créé à l’initiative de quelques amateurs de Snipe… L’histoire du Cercle est rappelée dans le bulletin anniversaire des 50 ans.

Il y a une belle flotte de Snipe en rade de Genève et elle a même un port dédié du côté du Creux de Genthod: Le « Port des Snipe » où sont stockées une trentaine d’unités. Mieux encore, le Léman peut s’enorgueillir d’abriter sur ses berges des constructeurs de Snipe de renommée nationale, voire internationale, dont notamment Armand Manigley à Genève (qui était venu avec JF Andrier à une de nos premières AG) et Monsieur Floquet de Thonon chez lequel Edouard Lambert (l’oncle de Pierrot) construisit un certain nombre de bateaux réputés…

Aujourd’hui, l’Association Française des Snipe compte une dizaine de « flottes » actives, principalement dans l’Ouest, le Sud-Ouest et en Région Parisienne, avec un accessit à la bien maigre flotte du lac d’Annecy qui fut la troisième en France (Flotte 223 en 1947) …

… A l’international, le Snipe conserve sa cote d’amour ou connaît un regain d’intérêt, aux USA où le n°1 « Adélaïde » de 1931 a été restauré, dans les pays d’Europe de l’Est, et surtout en Amérique Latine comme en témoigne la vidéo qui suit:

Torben « Turbine » Grael

… Et sur le Léman? Sur le Léman: Rien! Et pas seulement pour les Snipe, car on peut dire que toute activité des dériveurs a disparu en dehors des « Optimist », « Laser » ou « Équipe » des écoles de voile…

Snipe 6538 « Triolet » à Mr Dufays S. N. L. F.

Pire! La question est lancée: Que sont devenus tous ces Snipe? L’AVAL en a hébergé un (d’origine Espagnole) il y a quelques temps, et j’en connais un autre stocké à Tougues depuis des années. L’inventaire du Musée du Léman à Nyon doit bien en compter, par ailleurs, un ou deux… On ne va pas me faire croire que tous les autres ont disparu, alors que des séries bien moins nombreuses et plus anciennes, telles les « Moucheron » ou les « 20 m² Encouragement », ont vu chacune une dizaine de bateaux survivre jusqu’à nous!

Un beau Snipe bois

Mais où sont passés les Snipe d’antan du Léman?

JF Traini